dimanche 16 mai 2010

Tupinambá dans le colimateur

Depuis deux mois, la police fédérale brésilienne fait pression sur la communauté indigène Tupinambá de la Serra do Padeiro, une des communautés qui composent le peuple Tupinambá de Olivença, dans le Sud de Bahia.

Arrestation illégale
Le 10 mars 2010, la police fédérale s'infiltre en pleine nuit dans un village et arrête le cacique Babau dans sa maison, sans présenter aucun mandat, sans parler à personne. Il a fallu à la famille et à la communauté attendre plusieurs jours pour être contactés par les organes officiels et se faire confirmer la détention du cacique. Son frère Gil a été arrêté également, alors qu'il travaillait dans la ville voisine (Buerarema). D'abord détenus à Ilhéus, à 2 heures de leur famille, ils ont été transférés à Salvador puis dans une prison de haute sécurité dans le Rio Grande do Norte, à plusieurs centaines de kilomètres sous le prétexte que les autorités craignaient des débordements voire une évasion lors de manifestations de soutien prévues à l'occasion de la "Journée nationale de l'indien" le 19 mars. Le cacique est détenu depuis plus de deux mois sans jugement et le dossier d'inculpation n'aurait pour l'instant pas de preuves à l'appui des différentes accusations pesant sur Babau et Gil.

Plus de précisions dans ce bon article : http://fr.globalvoicesonline.org/2010/05/05/34388/

Pressions et abus
Depuis, la communauté subit des visites régulières et pas franchement amicales de la police fédérale dans les villages, dans les bus scolaires, sur les lieux de passage et de travail des membres de la communauté. Quinze mandats d'arrêt auraient été émis contre d'autres membres de la communauté, visant plus particulièrement les différents coordinateurs et leaders de la communauté. Les objectifs de ces actions sont stratégiques et pas très obscurs : criminalisation de la lutte des indigènes et des mouvements pour la terre, intimidation et tentative de paralysation de la communauté qui ne peut plus travailler dans de bonnes conditions, affaiblissement voire "cassage" de la communauté et de sa lutte.

Campagne anti-indienne
Tout ceci s'appuie en parallèle sur la campagne de dénigrement, de diffamation et de mensonges développées depuis plusieurs mois par les politiques et grands exploitants de la région, et dans la presse régionale et nationale. Les indiens de la région sont dans ces papiers montrés comme violents, vindicatifs, criminels, voleurs de terres, envahisseurs, assassins à l'occasion... Ils ne sont d'ailleurs pas indiens, on le dit et le répète, ce sont des "faux-indiens", "soi-disant indiens", "terroristes", qui profiterait de la faiblesse et du romantisme pro-indigènes pour revendiquer une identité qui n'existerait plus dans la région afin de se garantir des bénéfices indus (terre, santé, aides publiques, etc) sur le dos des vrais travailleurs. Avec cette campagne, les grands exploitants qui ne souhaitent à aucun prix devoir céder leurs terres réussissent à gagner à leur cause les habitants de la ville voisine, en tout cas à se garantir un climat favorable.

* traduction du titre du journal : Des "indiens" Tupinambá tuent, volent, pillent et provoquent la guerre dans la région.


méthodes inquiétantes
Au-delà des abus de la police fédérale, les rumeurs concernant d'autres méthodes inquiètent la communauté : têtes mises à prix, engagement ou en tout cas encouragement au recours aux pistoleiros (tueurs à gages, porte-flingues...)

Pourquoi
Depuis plusieurs années, la communauté Tupinambá de Olivença revendique son identité et son droit à la terre. En 2009, la FUNAI (fondation nationale de l'indien, organe gouvernemental) a reconnu ce droit, et défini un territoire de 47 000 hectares comme territoire indigène. Les tensions se sont alors exacerbées entre indigènes et exploitants/propriétaires. Le territoire n'est pas encore reconnu légalement, et les différentes communautés qui composent les Tupinambá d'Olivença se trouvent face à l'hostilité des grands propriétaires et des politiques qui leur sont favorables.

Dans le cas particulier de la communauté de la Serra do Padeiro, (environ 130 familles) les indigènes dérangent d'autant plus qu'ils luttent de manière tout à fait impressionnante : 21 zones de retomadas (occupation de terres) sont aujourd'hui occupées par cette seule communauté. Glicélia, soeur de Babau, explique que ces retomadas sont faites sur des zones abandonnées des terres des grands exploitants, aires laissées en friche depuis des années, ou sur des aires menacées par l'exploitation illégale du bois (coupes illégales, déforestation). Les terres occupées sont également habitées, nettoyées, valorisées, cultivées. La communauté produit de quoi vivre, se nourrir et vendre. Les écoles sur son territoire accueillent aussi bien des enfants Tupinambá que les enfants des petits agriculteurs non-indigènes, de même que les projets sociaux que la communauté met en place incluent généralement les familles de petits producteurs voisins.

Ce que j'en ai vu
Cette semaine, quand nous sommes allés rendre visite aux Tupinambá de la Serra do Padeiro, j'ai vu une communauté organisée, productive, accueillante. Bien vivante et la tête haute. "Ils disent que "Babau fait ceci, Babau fait cela", mais en réalité, Babau, c'est nous tous. Babau c'est la communauté. Nous tous nous luttons et nous travaillons." Les parcelles cultivées le sont pour la plupart sur un mode communautaire. La "maison de la farine" permet de produire une quantité impressionnante de farine de manioc, mais la production est à l'arrêt depuis deux mois, par peur des incursions policières. Les communications sont rendues difficiles par le manque de couverture réseau pour le téléphone et internet et la difficulté à se rendre en ville pour cause du climat hostile et des mandats d'arrêt. Et dans ces conditions, il est difficile pour la communauté de faire entendre sa propre voix.

Une voix qui en a à dire. Sur le pourquoi de la lutte pour la terre, sur sa vision du monde, sur ce que c'est que résister, pourquoi... Dangereuse, quoi.






1 commentaires:

Anonymous ex-Gringo a dit...

ça me rappelle le petit mot qu'Anne avait laissé à la maison en partant: "le centre du monde est partout où on résiste"
en voilà un, on dirait

19 mai 2010 à 19:09

 

Enregistrer un commentaire

<< Accueil