samedi 1 mai 2010

les ravages du développement

La commune sur laquelle Esperança da Terra est implantée a reçu il y a quelques semaines le titre peu gratifiant de "deuxième commune détenant l'indice de développement humain municipal (IDH-M) le plus faible du Brésil". La polémique locale du moment s'est résumée à savoir si cela était véridique, ou si la ville n'avait pas plutôt le pire IDH municipal, titre qui aurait été usurpé par une ville voisine.

A cela s'est ajouté que le quasi unique employeur de la commune, la mairie, a été contrainte de revoir son mode de recrutement. La plupart des employés étaient sous contrat. Aujourd'hui, les mairies doivent employer des personnes ayant réussi au concours. Le concours a donc été organisé il y a peu. Et, l'éducation publique et le niveau d'études étant ce qu'elle est dans la commune, la plupart des postulants habitants de la commune ont été recalés. Les postes à pourvoir reviennent à des habitants de villes voisines, mieux dotées.

Et le taux de chômage dans la ville va donc empirer.
Il me semble qu'avant cela, déjà 2/3 de la population vivait avec un revenu situé entre 0 et 40 Reais par mois (entre O et 15 euros par mois environ).

La population reste malheureusement plutôt assommée, presque inerte. Peu d'associations, pas d'organisation de la société civile. On "attend". Attendre que ça se passe, attendre des autres qu'ils réagissent, attendre du maire qu'il prenne des mesures, attendre des plus favorisés qu'ils investissent, attendre des associations qu'elles inventent quelque chose. Et en attendant, au coin des rues, quand les gens discutent, c'est plus pour se plaindre, reprocher de ne pas en faire assez, ou pas comme il le faudrait, taxer d'opportunisme celui qui essaie de faire quelque chose...

Comme si le rêve était que d'un seul coup, tout le monde ait un emploi, quel qu'il soit, c'est-à-dire un salaire, pour pouvoir faire de bons repas à base de viande nourrie au soja transgénique tout en regardant la télévision, aller boire le week-end et envoyer ses enfants dans des écoles privées des grandes villes. Surtout ne pas valoriser ce qui existe, ne pas se réjouir de vivre sur une terre où tout pousse et en quantité, refuser ou jeter la moitié du panier de subsistance distribué par la mairie parce que la banane "c'est pour les pauvres", rejeter les nouveaux savoir-faire des constructeurs qui proposent une maison en terre, beaucoup plus économique, parce que ce serait "une honte". Il faut comprendre, c'est une question de représentations.

Certes, ce sont des représentations. Qui viennent justement de la représentation qu'on a du développement. L'image du "développement". Que voulez-vous pour votre ville ? Du "développement", c'est-à-dire des investissements, des revenus, parce que si on obtient cela, tout ira mieux et tous les problèmes se règleront d'eux-mêmes. Des écoles, pourquoi ? Pour entrer dans la compétition du marché du travail. Et donc générer et gérer investissements et revenus.

A mes yeux, cette soif de "développement" revient ici à désister de la propre richesse locale, des terres fertiles, de la rivière encore "propre", de la terre argileuse pour construire et fabriquer, et de la richesse humaine - pour être heureux et "valoir quelque chose", il faudrait ressembler plus ou moins aux personnages des télé-novelas (séries télé brésiliennes), en tout cas aux "gens de bien". Désirer, pour une petite ville insérée entre des collines vertes et traversée par une jolie rivière, le même mode de vie et le même modèle qu'une grande ville, bétonnée, stressée, polluée. Copier, plutôt qu'inventer.

Se dire que pour s'en sortir il faudrait faire pousser beaucoup de bananes pour les vendre sur de nombreux marchés pour pouvoir acheter son riz et ses haricots. Plutôt que de se dire que si l'on a de la terre, on ferait tout aussi bien d'y faire pousser de tout. Dans une partie du sertão bahianais, ça a été l'inverse, planter du haricots en quantité industrielle, soutenu par l'état à coup d'aides agricoles (pesticides, engrais, etc) au nom du développement de la région, tout en oubliant les autres cultures de subsistance. Aujourd'hui, la terre donne moins, le cours du haricots a baissé et les habitants ont faim. Avoir faim à la campagne ou dans les petites villes, c'est quelque chose qui paraît absurde à une partie des plus âgés, ou à ceux qui ont travaillé auparavant dans de petites propriétés.

Se dire que les seules maisons qui vaillent sont ces cubes de parpaings de brique cimentés. Et préférer louer une maison de ce type dont on n'est pas sûr de payer le loyer plutôt que de se construire une petite maison terre, en adobe, à petit prix, dont personne ne pourra nous expulser, et où en plus il fera moins chaud.

Ici, nous avons construit trois maisons en adobe. Et deux maçon et constructeur de la ville qui ont travaillé avec nous ont monté un projet pour proposer une maison de ce type à un autre habitant. Il a refusé, préférant payer (difficilement) un loyer que vivre avec honte dans une maison en adobe. Les représentations prennent du temps pour changer. Le fait que les constructeurs aient fait cette proposition, et la déception qu'ils ont montré quand elle a été refusée sont déjà le marqueur d'un changement.


3 commentaires:

Anonymous ex-Gringo a dit...

rien de neuf "sous le soleil"... hormis ton regard... et les constructeurs qui proposent... et Esperança da Terra qui fait vivre un lieu différent à la sortie de la ville...

4 mai 2010 à 18:53

 
Anonymous B--------------------- a dit...

Je ne comprends pas la phrase:
"A mes yeux, cette soif de "développement" revient ici à désister de la propre richesse locale, des terres fertiles, de la rivière encore "propre", de la terre argileuse pour construire et fabriquer, et de la richesse humaine"
désister? se désister? en fait, je comprends le sens, mais il doit y avoir un souci de syntaxe...

Tu parles des tele-novelas - combien de postes dans le village? L'influence de la télévision, de l'image! Mais ça donne la perspective que peut avoir indios-digitais! Vivement qu'on ait des journalistes locaux, des artistes locaux dans chaque village de ce petit monde pour re-symboliser nos vies. Et pas celles en carton-pâte de ces bimbos à la peau re-blanchie.

11 mai 2010 à 06:58

 
Anonymous B. a dit...

Au fait c'est quoi "adobe", c'est pas la boîte de gimp en pas libre?

ha, non:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Adobe_%28brique%29

11 mai 2010 à 07:01

 

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